Loup Uberto
Loup Uberto
Abrégé d’un ensemble de tentatives, sur matériaux divers : Téléphones mobiles, percussions, transistors radios court-circuités, limiteurs informatiques, clarinette, chants médiévaux et populaires d’Italie du nord.
La fable illisible est lacunaire et silencieuse, elle adopte la même pauvreté que le conte ancien, elle use du même pouvoir d’image, de l’abondant répertoire de visions qu’offre une figure déshabillée. On parle ici du conte dépouillé, artisan, fidèle à la crudité du réel, que l’on trouve dans les chants populaires et médiévaux préalablement à son absorption par la littérature. Quand la morale du conte littéraire n’est qu’un processus d’engraissement du conte par le discours, le conte populaire est au contraire une vue offerte sur l’horizon du mutisme. Deux sphères vivantes ont produit leurs clans de conteurs ; dans l’espace archaïque du chant coexistent et s’inter-contaminent le paysan (conte sédentaire, conte territorial) et le marin (conte errant, conte étranger). Une troisième figure, l’artisan, fusionne ces deux récits dans l’université du conte. Dans ce conte sans morale, la forme simple du discours ne vise pas à convaincre, ne connait aucune cible, c’est une narration sèche, un objet sans destination que chaque auditeur traduira à son aise. La forme sèche, ramassée et chaste du conte recommande l’histoire à la mémoire. Le conte est muet, en s’abstenant de dire, il tient en haleine par l’outillage des silences et des vides. Musique aux façons indécises, écriture silencieuse, images blanches, bruitismes et chansons. Avec Alexis Vinéïs, Lucas Ravinale et Jean-Philippe Curtelin, Loup Uberto est aussi l’un des quatre rois mages de Bégayer (des saints, des brigands, des personnages de Rosselini qui font du bruit), explore les mélodies traditionnelles du nord de l’Italie, enregistre des documents sonores curieux -musique “brut“ cubaine, carnets de voyages est-européens, chants kurdes de Syrie-, amorce des gestes pour la chanson française avec le label Le Saule, interroge la notion de regard et sa fiction, les aspérités du langage, documente l’exil et l’errance par des témoignages sonores, des écrits et des photographies. ‘Racconto artigiano’, le conte artisan, est inspiré de l’Expérience et pauvreté de Walter Benjamin, où l’auteur commente l’assèchement du répertoire des fables populaires ; C’est l’abrégé de tentatives nombreuses sur matériaux divers : Téléphones mobiles, percussions, transistors radios court-circuités, limiteurs informatiques, clarinette, chants médiévaux et populaires d’Italie du nord, collages sonores. Enregistré dans l’église réformée de Mens-en-Trièves, un village au pied de la chaine de l’Obiou et creusant vers le versant Est du Vercors, le disque fait suite à quelques trois ou quatre années de recherches, récit d’un ensemble d’expériences, ainsi lui-même une sorte de document, un répertoire d’ébauches livrées telles quelles, tout à fait brutes et rendues inquiétantes par leur sécheresse, tout comme le conte populaire -s’abstenant de parler- est une vue offerte sur l’horizon du mutisme.
DATA, le 15 MARS 2022